Ce que proposent ces sculptures n’est autre qu’un tendre miroir où le corps se ressent dans le registre qui lui est le plus favorable : c’est tout à la fois une surface, un grain, une chaleur, et la tendresse d’une consistance souple, fluide, suave. Cet énoncé lui-même indique l’ambiguïté que le corps entretient avec cette douce matière des choses, que nous décrivons dans les mêmes termes, avec les mêmes mots qui eussent décrit le corps lui-même, l’autre corps qu’il rencontre, perçoit, caresse ; qu’il respire, dont il s’entoure. Sans doute y a-t-il là la trace ineffaçable de nos premières sensations, notre corps ainsi baigné dans celui de la mère, caressant-caressé… l’incarnation, c’est le cas de le dire, du paradis perdu d’une plénitude. Peut-être quelque chose de ce bonheur originel se retrouve-t-il quand notre corps se ressent ainsi dans un vêtement, un drap, une couverture, objets transitionnels hérités des doudous de l’enfance.
Cet ordre de la sensation qu’après Freud on nommerait « érotique » n’est pas en tension, n’est pas désirant ; il n’est même pas inscrit dans le temps, bien au contraire. Cet ordre, c’est celui de la caresse, qui n’a ni début ni fin. On s’y étale, on s’y baigne ; rien n’a plus d’importance.
Si le spectateur ressent devant ces sculptures un peu du bonheur de cette sensation, ce n’est pas parce que j’en ai inscrit la trace si délicate : j’ai fait le premier pas, le bois en fait un autre, mais c’est le spectateur lui-même qui y ajoute sa sensation entière, telle qu’elle est inscrite dans une mémoire du corps qu’aucun temps ne ternit : il « sait » la consistance, le grain, l’odeur ; ce corps ne perçoit pas : il se souvient, et la couverture qu’il regarde, il la reconnaît : c’est la sienne.