Le cheval d'Aytré

1997

Au beau milieu de la place des Charmilles, un gigantesque cheval navire est échoué sur un courant d'eau, parmi les pieux de barrages, grumes et madriers : le Cheval d'Aytré est l'œuvre du sculpteur Christian Renonciat (1 cliquez). Sa réalisation date de 1989 et fait suite à une commande de Jean-Claude Parage, alors maire d'Aytré (2).

Pour sa conception, l'artiste s'est inspiré de la mythologie du cheval, mais aussi de l'imaginaire côtier en Aunis et particulièrement à Aytré. L'ensemble simule une fouille archéologique : on soulève les pavés et l'on creuse : à chaque niveau de la fouille se rapporte un événement historique - ou légendaire - prétexte à raconter le cheval d'Aytré.

Ainsi, depuis les temps les plus anciens, les habitants des bords de mer ont assimilé l'écume de la vague au cheval galopant vers le rivage. En Aunis autrefois, la mer pénétrait profondément les terres; au milieu d'un paysage incertain d'îles et de marais, les légendes ont pris naissance : créatures fantastiques surgies de la brume ou villes englouties sous les flots. A Aytré, la légende de la bête Rô (3) nous apprend que c'est la mer qui porte la délivrance aux habitants d'Aytré, terrorisés par le monstre; elle nous précise aussi la forme de cette délivrance : "... mais un jour la marée haute amena une barque montée par sept héros... ". Voici donc une barque bien étrange : bateau cheval ou cheval bateau ? cheval de mer ? un peu de tout cela sans doute.

Cette image est à rapprocher de celle des bateaux vikings, les fameux snekkiars, auxquels les terribles guerriers, avant d'aborder la côte et de se lancer au combat, accrochaient à la proue des têtes de chevaux ou de dragons en criant " Drakkar ! Drakkar ! Drakkar ! ". C'est en 843 que le grand chef Thorgsil, après avoir conquis l'Irlande et le Pays de Galles, s'installe à Noirmoutier; les vikings viennent fréquemment à Aytré, " pays du vin et du sel où les filles sont si brunes et si belles ".

Comme responsables de l'échouage du cheval navire, les pieux de barrage témoignent de la digue que fit construire le cardinal de Richelieu durant le siège de La Rochelle (1627) pour en interdire l'accès aux Anglais de Buckingham (4). 
armée royale est alors installée à Aytré. Il faut rassembler trois mille chevaux pour bouter les Anglais hors de l'île de Ré; on raconte qu'un navire anglais, chargé d'une cargaison de chevaux, a coulé dans la rade; enfin la guerre de position s'installe jusqu'à la reddition de la cité huguenote; bastions, digues, souterrains et fortins jalonnent le paysage. Aux Charmilles, tout près du cheval, on peut voir l'entrée d'un souterrain du siège qui se ramifie sous la campagne environnante; ce souterrain servit aussi d'abri anti-aérien pendant la Seconde Guerre mondiale.

La fouille est donc bien réelle et ne doit pas seulement à l'imagination puisque deux urnes funéraires sont également trouvées pendant les travaux de la place en 1988 : elles attestent la présence de villas romaines le long de la voie impériale, la "strata", qui laissa son nom à Aytré. Si nous remontons à la surface, la mairie style XVIIIe, son portail et ses pelouses apparaissent "injuriés par la fouille", cependant que les bâtiments les plus récents, de type post-moderne, nous ramènent à la période contemporaine du TGV fabriqué à Aytré. Du cheval de trait au cheval de fer : c'est l'histoire d'Aytré au XXe siècle qui est passée d'une économie rurale à l'industrie du train.

Enfin, quittons un moment les Charmilles pour nous envoler, tel Pégase (5) à la rencontre de sources plus lointaines susceptibles d'alimenter nos recherches; les rencontres sont nombreuses : citons par exemple, hormis Pégase, Sleipnir, le cheval d'Odin, les Dracs, le cheval de Bayard (5), les chevaux de bois des guerriers Bambara... pourtant une histoire retient plus que d'autres notre attention : celle du cheval de Troie.

Du cheval d'Aytré au cheval de Troie : un jeu de mots diront certains. Or, si on lit le texte d'Homère, on découvre bien autre chose qu'un simple jeu de mots : par son récit même, le cheval de Troie peut aussi bien s'appeler "le cheval d'Atrée". En effet, Atrée est le nom de l'illustre famille qui règne alors sur Mycènes : Atrée, ou les Atrides (6), dont sont issus Ménélas, le mari trompé d'Hélène, prétexte à la guerre de Troie, et son frère Agamemnon, commandant de l'armée grecque qui assiège Troie, eux-mêmes fils du terrible Atrée, premier du nom. C'est Épéios, porteur de la maison d'Atrée, qui est l'inventeur du cheval de Troie, et non pas Ulysse comme on le croit souvent.

L’artiste Christian Renonciat nous fait remarquer que le cheval de Troie (7) est rarement représenté sous une belle forme dans l'histoire de l'art; dans les peintures, il apparaît souvent sous la forme d'un simple tonneau à roulettes; depuis longtemps, il rêvait d'en faire une belle représentation; c'est aujourd'hui chose accomplie : le cheval de Troie est revenu à Atrée.

Mais laissons parler Christian Renonciat : "Premièrement ce n'est pas un cheval: c'est construit comme un bateau, avec une quille, des couples et des bordés; en même temps cela ressemble à un cheval, avec une tête de cheval. Deuxièmement ce n'est pas un cheval : cet élément-là s'inscrit dans un ensemble, vestige émergé de couches archéologiques étranges. L'unité dans tout cela ? La trame du temps peut être inscrite dans cette pyramide inversée d'où, paraît-il, vingt siècles nous contemplent. La fonte d'acier aussi : plus de vingt tonnes coulées pour pétrifier tous ces bois, couples, pieux, planches et troncs d'arbres. Un bateau cheval, du bois en fonte... rien n'est simple" (8).