Christian Renonciat est un artiste de réputation internationale : pour s’en tenir aux dernières années, il a exposé à Houston (Galerie Gremillion & Fine Arts et Hooks-Epstein Gallery), à Genève (Galerie Exarte), à Kyoto (Shina Galerie), à Shangaï (Galerie Island6), à Dubrovnic (Musée d’Art Moderne), sa rétrospective La voie du bois a circulé à Séoul, Macao, Hong Kong et Tokyo. J’en passe, et je ne dis rien de ses très nombreuses installations monumentales. Christian Renonciat travaille le bois, souvent le simple peuplier (mais aussi le tilleul ou le bois d’ayous), et produit des pièces d’une vertigineuse habileté. Une habileté si extraordinaire qu’elle a suscité en France, me semble-t-il, un grave malentendu : les personnes qui n’apprécient guère que le trompe-l’œil ont trouvé leur héros. Elles sont persuadées que Renonciat représente des objets à la perfection. Or elles se trompent : il s’attache à présenter la matière selon un projet artistique spécifique, ce qui n’est pas du tout la même chose.
Elles peuvent réviser leur point de vue jusqu’au 15 mars en allant voir l’exposition Froissés composés - sculptures en bois organisée par l’excellente galerie Daniel Duchoze à Rouen (à moins qu’elles n’aient l’occasion de passer à Dallas, Texas, où l’exposition Renonciat, galerie Gremillion & Fine Arts dure jusqu’à la fin février). Elles comprendront que Christian Renonciat pose avec une admirable autorité la question classique de la relation entre objet esthétique et objet usuel. Arrêtons-nous à une seule pièce : un grand Papier déplié faisant apparaître ses plis délimitant seize carrés avec une grande netteté. La perfection de la réalisation nous autorise bien sûr une exclamation : quel métier ! En art, le style est évidemment métier, mais un métier qui permette à l’auteur de s’exprimer et d’être soi. C’est Maurice Merleau-Ponty qui faisait remarquer que ce sont les actes prémédités, qui requièrent de l’application et visent à un effet, qui peut-être livrent le mieux la spontanéité humaine. Le style est le lieu où apparaît l’auteur. Cet auteur, en l’occurrence, aime le papier en tant que matière qu’il entend « écrire ». « Froissement, bruissement, déchirement, craquement… dit-il, le papier parle à notre oreille comme le carton parle à notre œil ; c’est une matière végétale, qui s’adresse directement à notre corps animal, à notre sensation primale... »
Devant ce Papier déplié, je discerne en effet une certaine relation vivante de l’homme au monde, c’est-à-dire un style. L’artiste m’apparaît comme celui par qui existe cette relation, moins parce qu’il la suscitée que parce qu’il l’a vécue. Le style de Renonciat manifeste une double nécessité. Alors que l’objet usuel ne manifeste que la nécessité d’une forme qui elle-même traduit l’exigence d’une fin extérieure à l’objet et aussi à la personne de l’artisan-fabricant, l’objet esthétique, lui, manifeste à la fois la nécessité d’une forme sensible soumise à une norme proprement esthétique, et la nécessité d’une signification d’abord vécue par l’artiste-créateur « comme une fatalité vivante », pour reprendre une formule fameuse d’André Malraux. Le génie de Christian Renonciat tient à ce par quoi c’est bien lui-même qui prend la parole quand il cherche à traduire dans le bois celle du papier, ce papier « plié, déplié, froissé, déchiré, étendu » qui s’exprime lui aussi. Là se cache le secret de son style.